Another, "Celle qui n'existait pas" et "La fille à l'œil de poupée" : lorsque la mort revêt ses propres traits
Sans doute l'œuvre la plus connue de Yukito Ayatsiuji, Another est une duologie horrifique parut en 2011 au Japon et 2016 chez nous par l'intermédiaire de Pika édition. Un troisième volume est également disponible sous le nom de "Another, Où est le mort" mais, étant une histoire annexe, celui-ci aura droit à sa propre critique.
S'il a été adapté en manga - également disponible chez Pika - c'est bien l'animé - sur Netflix en streaming et Anime-Store en DVD/Blu-ray - qui l'a fait connaitre au grand public. Très populaire chez les ados pour ses scènes sanglantes, il est en revanche moqué pour la même chose une fois cet âge passé. On pourrait digresser longuement sur l'adaptation de romans/light-novel dans la japanimation mais disons simplement que le roman d'Another, comme le manga, est plus fin, moins m'a tu vus.
Et l'histoire dans tout ça ? Le récit se passe en 1998, dans la ville de Yomiyama, une petite ville au creux des montages (yama). Kôichi Sakakibara, jeune homme de 15 ans arrive alors pour emménager chez ses grands-parents - son père étant partie en voyage. Sa mère est décédée - mais, hélas pour lui, sont arrivé ne sera pas de tout repos. À peine le temps de poser ses affaires qu'un pneumothorax se déclenche et le clou sur un lit d'hôpital plusieurs semaines. Rien de grave pour lui, ce n'est pas la première fois, mais ce sera donc avec un bon mois de retard que le jeune homme fera ça rentré scolaire.
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Toutes les œuvres Another disponible en France |
Et, à partir de là, rien ne va plus. Entre une jeune fille que personne ne semble voir, des camarades de classe étrangement cachotier et le début d'une série de morts suspectes, il ne faudra pas longtemps au jeune homme pour se rendre compte que la classe de 3ème3 est loin d'être ordinaire. Alors ? Malheureuse coïncidence ou véritable malédiction ? Lorsque la Mort s'invite dans une classe de collégien, personne n'est à l'abri : élève, professeur, famille, qui sera le prochain à mourir ? Qui est le mort ?
Si le récit se veut horrifique elle ne fera cependant jamais vraiment peur. Ce n'est d'ailleurs pas son but. Tout au long de ces 2 tomes, ce sera plutôt un sentiment d'oppression, de malaise que le lecteur ressentira. Les intérieurs - la salle de classe ou la boutique de poupée, où Kôichi se rendra souvent - sont étouffant, on ne s'y sent jamais vraiment à l'aise tandis que les scènes en extérieur donne l'impression, paradoxalement, d'être piégé. Que ce soit sur le toit du lycée avec son grillage ou la ville elle-même, nous avons l'impression d'évoluer en vase clos. Comme si aucun élément étranger n'été autorisé à y entrer, pas plus que les habitants à en sortir. Qui s'y risquerai trouverai sans doute sa fin.
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Affiche de l'anime avec Mei et Kôichi |
Parmi ces habitant se trouve donc Kôichi, notre narrateur. Récemment arrivé en ville, elle ne lui est cependant pas étrangère puisque c'est ici qu'il est née mais aussi que sa mère à vécu et s'est éteinte. Fan d'histoire d'horreur sans pour autant croire au surnaturel, c'est par ces yeux - et ses oreilles - que nous assisterons aux événements tragiques qui toucherons sa classe.
Avec lui, nous nous triturerons les méninges pour démêler le vrai du faux, la réalité de la superstition. Et, comme lui, nous nous mettrons en colère lorsque nous serons mené en bateau, lorsque personne ne voudra répondre à ses/nos interrogations. Cependant, par son jeune âge, Kôichi n'est pas un personnage lisse. Il peut lui arriver de se montrer immature, égoïste, trop curieux et parfois même de se montrer un peu injurieux - à titre personnel j'aime assez cet aspect de sa personnalité mais il est vrai que ça n'aide pas forcément à s'identifier ou à s'attacher à lui.
De l'autre côté, nous avons Mei, une mystérieuse et placide jeune fille. Dans la même classe que Kôichi, la première chose que l'on remarque à son sujet est la distance entre elle et le reste de ses camarades. Personne ne la remarque ni ne lui parle. Élèves comme professeur semble l'ignorer sans que cela ne lui fasse grand-chose. Discrète au point de ne pas remarquer son départ, taiseuse et n'aimant pas être dérangé ni questionné, Mei Misaki est une existence qui ressort de part sa non-présence. Avouant elle-même ne pas exister, le narrateur comme le lecteur en viendra même à se demander si elle existe réellement ou si elle n'est pas un fantôme venu d'outre-tombe.
Cela n'empêchera cependant pas notre narrateur de continuer à la chercher, à venir lui parler, à la fois par intérêt personnel et pour obtenir des réponses qu'elle seule semble disposé à lui donner ... par moment. Car Mei reste évidemment très secrète même lorsqu'elle et Kôichi deviennent amis?. Leur relation est tout à la fois teinté de la pudeur adolescente, d'un passé difficile pour chacun d'entre eux et de caractère intrinsèque à leur personnalité. Ils s'apprécient sans vraiment le montrer, sont proche en gardant une certaine distance. Leur relation à été pour moi aussi intéressante à suivre que le côté enquête de l'œuvre. D'ailleurs, pour ceux ayant déjà vu l'anime ou lu le manga, c'est bien dans le roman que, à mon sens, leur relation est la plus détaillé, travailler.
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Mei, avouant qu'elle n'existe pas (version manga) |
D'autres personnage viendront s'ajouter à ce cast mais resteront assez cliché dans leur genre entre l'intello à lunette, le sportif direct et un peu bête, le timide, la petite chef, etc. Leur réel intérêt ne se trouvera donc pas en eux-mêmes mais plutôt dans leur réaction aux événements et à l'arriver de Kôichi; Des personnages fonctions donc, mais qui pourront se montrer un minimum attachant en avançant dans l'histoire.
Enfin, ce qui va constituer le cœur de l'œuvre : la raison de ces morts. Dès le début du roman, il nous est fait part d'une certaine histoire, celle de Misaki, un/une membre de 3è3 mort en 1972, apprécié de tous. Incapable de surmonté son décès, les membres de sa classe aurait alors fait "comme s'il était encore vivant" si bien que lors de la photo de fin d'année, celui-ci apparaissait, livide mais souriant.
Pour aller plus loin il faudra que je spoil un peu alors passé ce paragraphe si vous ne voulez pas vous gâcher la surprise. Bref, durant certaines des années qui suivirent, de nombreux élève de cette classe ainsi que leurs proches moururent. D'abord prit pour une coïncidence, on ne tarda pas à se rendre à l'évidence : une malédiction planait sur la classe. C'est alors que l'on se rendit compte : chaque fois que celle-ci frappait, en début d'année, un pupitre manquait. Il y avait un élève en trop, un mort que la malédiction ressuscitait pour l'année, qui vivait comme tout le monde et qui rapprochait la classe de la Mort.
L'intrigue de l'œuvre, dès que les événements auront été expliqués, tournera donc autour des moyens d'éviter ces années "malchanceuse", autour des moyens mis en œuvre et autour de l'identité de la personne en trop. Et, autant le dire tout de suite, si les péripéties de nos héros et leur manière de vivre avec cette situation sont agréable à suivre, c'est bien les indices que l'auteur laisse qui rendent l'histoire captivante. Nous laissant des indices plus ou moins bien caché - de manière délibéré- et nous baladant dans tout es sens, Ayatsuji réussi à nous embarqué dans un habile jeu de piste qui sait nous rendre - un peu - paranoïaque et dont le dénouement nous fait dire : "oh mais c'était ça, et donc tout ces moments, mais évidemment".
Cependant, si l'intrigue est honnêtement bien ficelé, la narration et le style d'écriture, eux, pourraient déplaire. Rappelons que le point de vue est à la première personne, celui d'un ado de 15 ans. Le même âge que la plupart des personnages. Même si Mei et Kôichi sont plutôt mature pour leur âge, qu'ils ne réagissent pas de manière exagéré aux événements - ce qu'ils ont vécu durant leur vie les ayant sans doute aidé à relativiser - leur phrasé est celui d'individu de leur âge et donne ainsi à la narration quelque chose de très direct, de très brut de décoffrage, qui peut rebuter. Entre les "trop la louze" ou "j'avais la flemme" le lecteur qui ne serait pas un ado pourra donc ressentir, à quelques occasions, une sorte de distance avec les protagonistes, moins à cause de leur âge que de leur façon de parler.
Alors ? On lit ou pas ?
La lecture de Another fut, pour moi, globalement agréable. Si quelques phrases et expressions m'ont parfois fait lever un sourcil, l'œuvre demeure assez prenante pour nous faire oublier ce petit défaut qui n'est, en fait, qu'un parti prit. Le récit peut aussi, parfois, se montrer un peu lourd/lent dans la première partie de son premier tome mais, encore une fois, j'ai trouvé cela nécessaire pour poser les enjeux et la gravité de la situation.
À part ces quelque détails, le récit se suit bien, le mystère sait se dévoiler lorsqu'il le faut tout en nous faisant poser de nouvelles questions et les personnages sont assez attachants. Mei, en particulier, est un véritable coup de cœur. Jamais tout à fait clair, qui ne montre rien de ce qu'elle pense, qui peut être froide jusqu'à en être cassante voir un peu méchante. Kôichi et elle sont des ados avec tout les défauts que cela comporte et dont le plus marquant sera leur égoïsme. Pourtant, ils demeurent très humains et savent montrer leur bon côté et c'est donc tout naturellement que, une fois la dernière page tournée, on leur souhaite de vivre une belle vie (peut-être ensemble, qui sait ? Oui, j'aime voir des romances là où il n'y en a peut-être pas)
J'ai aimé me faire balader par un auteur qui sait où il va, qui n'hésite pas à nous perdre pour mieux nous surprendre avec des éléments qu'il avait déjà disposé sans que l'on s'en aperçoive. Et surtout qui, dans une histoire horrifique, sait rester sobre dans sa mise en scène. Car, s'il y a des morts, beaucoup sont hors-champs, nous étant juste rapporté ce qui accentue, selon moi, l'aspect oppressant de l'œuvre. Qu'importe le personnage, personne n'est à l'abri et, pire, la mort est si aléatoire que l'ont peu nous mettre devant le fait accomplit sans crier gare, sans avoir été préparé.
Enfin, pour ceux qui ont vu l'anime ou lu le manga, sachez que, si la trame générale demeure la même, la fin est différente dans chaque version. L'anime propose un florilège d'hémoglobine qui se gausse des tentatives de survie. Très visuel, on tombe cependant dans le gore pour le gore.
Le manga fait la part aux ressentiments, au désespoir et à la folie qui peut en découler chez certains. Avec un design qui colle bien à l'ambiance et un joli duel à la clé, le manga réussi à montrer de la violence sans tombé dans le kitch de l'animé. Si quelques partis de l'histoire sont manquante par rapport au roman, cela ne gène en rien la compréhension globale et reste ainsi la meilleure adaptation.
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J'aime vraiment beaucoup le design de Mei dans le manga |
Le roman, lui, se montre plus implacable dans son rapport à la mort. Montre des vies qui ne tiennent finalement qu'a peu de chose, qu'un simple et cruel hasard peut faucher immédiatement. Et puisque le roman est l'œuvre d'origine et à la meilleure gestion du mystère, je ne peux que vous recommander de commencer par celui-ci
En résumé, Another ne plaira pas à tout le monde mais restera un divertissement très efficace pour qui voudra bien se laisser tenter.