Shirley : aux origines de Kaoru Mori

Connu pour son trait soigné et ses personnages féminins follement attachant, Kaoru Mori est devenu une autrice immanquable du paysage manga de ces 10 dernières années avec des titres comme Emma et Brides Stories dont chaque nouveau tome de ce dernier est un petit événement. C'est ainsi que, début 2019, Ki-oon a eu la très bonne idée de commencer à sortir Shirley, première œuvre de l'autrice.

Mais si c'est sa première œuvre, l'autrice y revient cependant régulièrement en dessinant de nouveau chapitre lorsque le cœur lui en dit, ce qui aura donné un second tome ... 10 ans plus tard. Heureusement que ses fans sont patient.  

L'histoire nous entraine au côté de Shirley, jeune orpheline de 13 ans, évoluant au milieu d'un Londres de l'ère victorienne comme l'autrice l'affectionne. Cherchant du travail, la jeune fille finira par répondre à l'annonce de Benett Cranly, femme bien née, célibataire, indépendante et tenancière d'un café. D'abord un poil dubitatif face à la jeunesse de sa nouvelle domestique, Mlle Cranly ne tardera cependant pas à se prendre d'affection pour la jeune fille sérieuse qu'est Shirley, commençant ainsi une vie à deux remplit de tendresse.

Ici, donc, pas de grand voyage mais plutôt des moments de vie quotidienne, partagé entre petit bonheur du quotidien et tracas journalier. Que ce soit de petits cadeaux de Mlle Cranly envers sa domestique, sa bienveillance à son égard ou le sérieux un peu naïf de la jeune fille, ces moments sont très bien mis en scène et rend l'histoire très chaleureuse. En plus de ces deux héroïnes, le premier tome est également pourvu de deux histoires annexes, tout aussi tendre, mettant en scène, d'une part, la relation d'une domestique avec son jeune maitre de 5 ans délaissé par sa mère et, d'autre part, celle d'une autre domestique dont le maitre, un homme âgé, élabore multitude de farces au dépend de ses serviteurs. Bien que court ces deux récits sont très plaisent à suivre et, qui sait, pourrait se poursuivre un jour.

Le deuxième tome, où il ne sera question que de notre duo principal, reste dans la ligné du premier tout en le dépassant. Le personnage de Mlle Cranly, son caractère et son statut de célibataire - elle est quasiment considéré comme une vielle fille par son entourage pour ne pas être marié à 28 ans -  y ait ainsi approfondie, permettant, en miroir, de révéler tout l'attachement que sa servante à développer à son égard mais aussi sa peur d'être abandonné. 

On se laisse ainsi gentiment porter par les histoires proposées par Kaoru Mori tout au long de ces deux tomes. Les personnages sont attachants, lumineux - même ceux des histoires annexes - donnant au récit un aspect très tendre et, encore une fois, chaleureux. Mais en plus de ces belles relation, l'autrice abordent en filigrane des thématiques lui tenant à cœur comme l'image de la femme dans la société londonienne de cette époque, l'attachement qui peut naitre entre maitres et serviteurs, l'abandon, la peur de l'avenir et, de façon très large, l'amour et sa complexité. A travers de ces deux tomes, et même si tout n'est pas mené avec la même maestria que dans ses autres œuvres, nous retrouverons donc tout ce qui fait de Kaoru Mori une autrice si particulière.    

D'un point de vue graphique, premiers pas de l'autrice oblige, Shirley, surtout dans son tome 1, est moins abouti que ses autres séries. Les décors sont beaucoup plus absents et les visages tiennent parfois plus du croquis que d'un véritable dessin finit. Cependant, les chara-design des personnages, notamment les servantes, sont assez varié et travaillé, laissant transparaitre un petit quelque chose, une personnalité qui leur est propre. Le talent de Kaoru Mori pour insuffler une vie à ses personnages est déjà présent. Dès lors, il est aisé d'apercevoir les origines de l'œuvre qui suivit, Emma, mais également tout l'amour que l'autrice à pour ces servantes - et leurs tenues pour lesquelles elle ne cache pas son attrait . 

D'un autre côté, les planche qu'elle prend le temps de soigné sont très agréable à regarder. La mise en scène, si elle est parfois minimaliste, n'est jamais dénué de charme et il s'en dégage toujours quelque chose de très prenant. En résumé, cette première série laissait présager de tout le talent graphique de l'autrice. Un talent qu'elle continuera de cultiver jusqu'à nous offrir des planches d'une grande beauté dans sa dernière série.

Et donc ? On lit ou pas ? 

Globalement, Shirley dispose d'un certain charme tant graphique que narratif. La lecture ne sera jamais désagréable tant que vous gardait en tête ce qu'est cette œuvre : une histoire croquant des moments de vie ordinaire. Si vous chercher une histoire plus travaillé, aux multiples rebondissements, alors mieux vaut passer son chemin. La lecture sera aussi paisible - quasiment - que la vie de nos héroïnes.

D'un autre côté, si, comme moi, vous êtes fans de Kaoru Mori, alors Shirley est un indispensable à votre bibliothèque. Elle permet de retrouver, à l'état embryonnaire, tout ce qui fait le charme des histoires de de l'autrice : ses personnages à la fois forts, attachant mais aussi très humain, leurs relations, sa mise en scène, etc. L'œuvre est véritablement un témoin de ses débuts et de son évolution. Je vous le recommande donc très chaudement.